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La foi nucléaire de François Hollande

Analyse du discours du Président le 19 février 2015

Publié par Jean-Marie MULLER, le 22 février 2015.





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Le 19 février 2015, François Hollande s’est rendu sur la base aérienne d’Istres pour vanter les mérites de la dissuasion nucléaire française. Tout au long de son intervention, il a proclamé les articles de foi du catéchisme nucléaire et récité les dogmes de la théologie nucléaire sur le ton d’une conviction qui n’entend laisser place à aucun doute. Cette cérémonie fut en quelque sorte un culte voué à la divinité nucléaire qui comble la nation française de tous les bienfaits et la protège de tous les maux. «  Le temps de la dissuasion nucléaire n’est pas dépassé, affirme le Président de la République, Il ne saurait être question, y compris dans ce domaine, de baisser la garde. » ; « La dissuasion nous permet de préserver notre liberté d’action et de décision en toute circonstance, parce que c’est elle qui me permet d’écarter toute menace de chantage d’origine étatique qui viserait à nous paralyser. » ; «  L’intégrité de notre territoire, la sauvegarde de notre population constituent le cœur de nos intérêts vitaux. Quels que soient les moyens employés par l’adversaire étatique nous devons préserver la capacité de notre nation à vivre. Tel est le sens de la dissuasion nucléaire.  » ; « Il s’agit, à travers la force de dissuasion, de la survie et de la souveraineté de la France. » ; «  Ce que la Force de dissuasion permet, c’est d’assurer à une Nation, à la France, à votre pays, ce qu’il y a de plus cher, de plus précieux, de plus essentiel, c’est-à-dire son indépendance. Et il n’y a pas d’indépendance s’il n’y a pas de liberté pour choisir son destin. La Force de dissuasion, c’est ce qui nous permet d’avoir la capacité de vivre libres et de pouvoir, partout dans le monde, porter notre message, sans rien craindre, sans rien redouter, parce que nous sommes sûrs de la capacité que nous avons à nous défendre. » ; «  Indépendance, liberté, capacité à faire prévaloir nos valeurs, voilà pourquoi nous devons chaque jour, assurer la permanence de la dissuasion nucléaire et être capables, à chaque instant, d’en améliorer encore l’organisation, le fonctionnement et les armes. ».

Ainsi, rien ne semble pouvoir venir dérégler la mécanique de la dissuasion nucléaire qui, en toutes circonstances, permettrait à l’État français d’assurer la sécurité de la population. Pourtant, il existe une difficulté majeure, décisive, irréductible, qui vient non seulement mettre à mal le beau dispositif décrit par le Président de la République, mais lui enlève toute pertinence et toute crédibilité. Cette difficulté réside tout simplement dans un éventuel emploi de l’arme nucléaire. Car, il ne faut pas s’y tromper, contrairement à ce qui est dit parfois, l’arme nucléaire n’est pas une arme de non-emploi et François Hollande, comme malgré lui, est obligé de le reconnaître. «  En raison des effets dévastateurs de l’arme nucléaire, affirme-t-il, elle n’a pas sa place dans le cadre d’une stratégie offensive, elle n’est conçue que dans une stratégie défensive.  » Mais comment François Hollande feint-il de ne pas avoir conscience que les effets de l’arme nucléaire seraient également dévastateurs dans le cadre d’une stratégie défensive ? «  Les forces de dissuasion, précise-t-il encore, permettent de garantir que les engagements internationaux de la France seront toujours honorés, même si l’emploi de l’arme nucléaire n’est concevable que dans des circonstances extrêmes de légitime défense. » Et dans le cas de l’échec de la dissuasion qui n’aurait pas été capable de retenir un adversaire étatique d’entrer en conflit avec notre pays, la France n’hésiterait pas à déclencher une « tir d’avertissement » : «  La France peut, en dernier ressort, marquer sa volonté à défendre nos intérêts vitaux par un avertissement de nature nucléaire ayant pour objectif le rétablissement de la dissuasion.  » Même dans les situations extrêmes envisagées par le Président de la République, l’arme nucléaire n’est pas une arme légitime de défense, mais une arme criminelle de terreur, de destruction, de dévastation et d’anéantissement.

Cependant, François Hollande semble n’avoir aucune conscience que tout emploi de l’arme nucléaire constituerait un «  crime contre l’humanité et la civilisation » (résolution des Nations Unies du 24 novembre 1961) qui discréditerait la France aux yeux du monde entier. Surtout, il est remarquable que le Président n’envisage aucunement quelles seraient les conséquences catastrophiques irréparables de ces frappes nucléaires pour les autres et pour nous-mêmes, pour la terre et pour l’humanité. Combien de milliers, combien de millions de morts ? Il est dans le déni le plus total de la réalité des destructions illimitées qui seraient provoquées. Ce déni confine à l’irresponsabilité. À aucun moment, dans aucune crise internationale, la menace de l’emploi de l’arme nucléaire ne pourrait être opérationnelle. La menace serait dépourvue de toute crédibilité parce que l’emploi provoquerait la pire des catastrophes humaines qui serait totalement ingérable.

Il est remarquable que dans tous les conflits dans lesquels la France a été engagée ces dernières années – que ce soit en Afrique, au Moyen-Orient ou à l’Est de l’Europe -, il ne soit venu à l ‘idée de quiconque de faire valoir l’argument nucléaire.

Il est toujours facile de proclamer sur une estrade une rhétorique vantant les mérites de la dissuasion nucléaire en assurant qu’elle est garante à la fois de la grandeur de la France et de la sécurité des Français. Mais lorsque surviendrait le moment du passage à l’acte qui est l’épreuve de vérité de la dissuasion nucléaire, il apparaîtrait clairement que la rhétorique n’a aucune prise sur la réalité. La rationalité supposée de la doctrine s’effacerait alors pour céder la place à l’irrationalité la plus totale. On peut gager qu’aucun Président de la République française ne prendra jamais la décision de passer à l’acte nucléaire. Celui-ci serait totalement insensé, une pure folie.

À l’évidence, le réalisme conduit à affirmer que la dissuasion nucléaire ne protège la France d’aucune des menaces qui pèsent sur elle. Tout particulièrement, l’arme nucléaire n’est d’aucun recours conte la menace terroriste. La puissance apocalyptique de l’arme nucléaire sera toujours dérisoire face au pouvoir assassin de la kalachnikov. Le passage raisonnable à l’acte nucléaire est impossible tout simplement parce qu’il est impensable. Face à la préméditation du crime nucléaire qui fonde la dissuasion, les impératifs de l’éthique de responsabilité rejoignent très précisément ceux de l’éthique de conviction pour affirmer l’impensabilité de l’acte nucléaire. Dès que la raison veut penser l’acte nucléaire, elle se heurte à un obstacle infranchissable. C’est cela qui est décisif : l’acte nucléaire ne peut pas être pensé. Et cela est définitif.

En poursuivant la modernisation de son système d’armes nucléaires la France ne peut qu’accroître la probabilité d’une catastrophe nucléaire accidentelle du fait de la double prolifération verticale et horizontale. C’est pourquoi le renoncement à l’arme nucléaire est un impératif catégorique tant du point de vue de l’exigence éthique que du réalisme politique. Notons également que l’argument économique plaide fortement en faveur du renoncement à l’arme nucléaire. Les milliards d’Euros dépensés en vain chaque année au profit de l’arsenal nucléaire pourraient être investis dans d’autres domaines socialement utiles.

Alors que les propos de François Hollande laissent croire que le renoncement à l’arme nucléaire porterait atteinte à la « grandeur de la France », c’est certainement tout le contraire qui se produirait. Comment ne pas croire en effet qu’il en résulterait un surcroît de prestige pour notre pays ? « Le prestige, déclarait M. Ban Ki-moon, le Secrétaire général des Nations Unies, lors de l’allocution qu’il prononça à Hiroshima le 6 août 2010, appartient non pas à ceux qui possèdent des armes nucléaires, mais à ceux qui y renoncent. » Sans nul doute la capacité de notre pays de faire entendre sa voix dans les grands débats de la politique internationale ne serait non pas affaiblie mais fortifiée. On peut gager que partout dans le monde des femmes et des hommes salueraient la décision de la France comme un acte de courage qui leur redonne un peu d’espérance.

La France est l’un des cinq États dotés de l’arme nucléaire qui sont membres du Traité de Non-Prolifération (TNP). L’article VI de ce traité précise : « Chacune des parties au Traité s’engage à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée. » Mais ces cinq États nucléaires violent délibérément cette obligation, non seulement en n’ouvrant aucune négociation sur lé désarmement nucléaire, mais en menant une politique délibérée de modernisation de leur arsenal nucléaire. C’est ainsi que le 5 février dernier, lors d’une conférence de presse, François Hollande a déclaré : « J’entends que notre force de dissuasion soit modernisée autant qu’il est nécessaire. » Á Istres, il n’a pas osé utiliser le mot de « modernisation ». Pour traduire dans les faits les évolutions technologiques dans le domaine des armes nucléaires, il parle de leur « adaptation », ce qui signifie la même chose. «  Et puis, précise-t-il, il y a ce qui doit être fait pour renouveler les armes, sans effectuer d’essais nucléaires. C’est donc le programme de simulation qui est en pleine conformité avec le traité d’interdiction complète des essais nucléaires. » En réalité, le programme de simulation du Laser Mégajoule n’a d’autre fonction que de contourner l’interdiction des essais nucléaires.

François Hollande évoque la question du désarmement nucléaire, mais c’est essentiellement pour assurer que son heure n’est pas encore venue : «  La France doit être lucide. Elle sait qu’il ne suffit pas de proclamer le désarmement nucléaire immédiat et total, il faut que la réalité des actes de chacun soit cohérente avec les discours. » Cela est vrai assurément. Mais, précisément, le drame c’est que cette cohérence fait gravement défaut : «  Dans un monde dangereux – et il l’est – la France n’entend pas baisser la garde. Mais en même temps qu’elle est prête à se défendre, elle ne veut pas pour autant renoncer à l’objectif même du désarmement, y compris du désarmement nucléaire. La France, c’est une puissance de paix, et c’est pourquoi elle se défend, pour la paix ! (…) Je partage donc l’objectif, à terme, de l’élimination totale des armes nucléaires, mais j’ajoute : quand le contexte stratégique le permettra. La France continuera d’agir sans relâche dans cette direction. Elle le fera avec constance, avec transparence, avec vérité, j’allais dire avec sagesse et en bonne intelligence avec les Alliés.  » Mais il ne s’agit que de l’hommage que le vice rend à la vertu.

Le problème c’est que tous les États dotés – au premier rang desquels la France – sont unanimement déterminés à maintenir et à moderniser leur arsenal nucléaire et que, par conséquent, le désarmement mondial est impossible dans un avenir prévisible. La déclaration de François Hollande est la preuve française qui confirme, s’il en était besoin, que la prochaine Conférence d’examen du TNP qui doit se tenir cette année a déjà échoué et qu’elle ne parviendra sûrement pas à signer une Convention d’élimination mondiale des armes nucléaires. C’est pourquoi, il est de la responsabilité de chaque citoyen français de décider s’il consent ou non à cautionner le choix nucléaire du Président de la République. S’il n’y consent pas, il lui appartient alors d’exiger le désarmement nucléaire unilatéral de la France.

Dans une démocratie, ce sont les citoyens, et non les dirigeants, qui sont dépositaires du pouvoir souverain. C’est donc à eux qu’appartient la responsabilité de ne pas accepter l’inacceptable. Mais encore faut-il qu’ils décident d’exercer leur pouvoir…

Jean-Marie MULLER
Philosophe et écrivain.
Auteur notamment de Libérer la France des armes nucléaires, Face à la préméditation d’un crime contre l’humanité, Chronique Sociale, 2014.
Lauréat 2013 du Prix international de la fondation indienne Jamnalal Bajaj pour la promotion des valeurs gandhiennes.
www.jean-marie-muller.fr