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Après les attentats du 13 novembre, résister, ça veut dire quoi ?

Marine LE BRETON

Publié par , le 20 novembre 2015.





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Après les attentats du vendredi 13 novembre dans plusieurs lieux de la capitale, il semblerait que les Français soient à nouveau "entrés en résistance". Mais celle-ci prend une forme nouvelle. Ici il n’est pas question d’opérations violentes, ni même d’actions pacifiques hors du commun comme des manifestations ou diffusions de tracts. La résistance, à une semaine du drame qui causé la mort de 129 personnes, est à la fois simple et compliquée : il s’agit de vivre normalement. Simple, car elle ne requiert pas de modifier ses habitudes. Compliquée, car la peur et la peine ressenties depuis quelques jours incitent à rester chez soi, pour ne prendre aucun risque.

Le philosophe Vincent Cespedes estime ainsi que "c’est une forme de résistance nouvelle que d’aller dans les cafés. Ce n’est pas résister comme lorsqu’on prend les armes ou le maquis, c’est une néo-résistance, adaptée à un nouveau terrorisme". Pourquoi néo-résistance ? Parce que, comme il l’expliquait dans une vidéo réalisée pour Le HuffPost, elle s’adresse à la nouvelle génération, parce que nous avons de nouveaux moyens de la mettre en oeuvre - les réseaux sociaux notamment - et parce que nous sommes entrés dans une nouvelle ère.

La résistance, c’est d’aller en terrasse

La résistance des Français a ainsi pris la forme d’actions tout à fait banales. Mardi soir, ils étaient par exemple "tous au bistrot". Une opération culinaire lancée dimanche soir par le guide gastronomique Fooding.

Plus généralement, depuis ce week-end est lancée la vaste opération de tous retourner boire des coups en terrasse. Encore une fois, l’acte était l’un des plus naturels du monde avant le 13 novembre mais il prend une dimension tout autre après les carnages qui ont eu lieu sur les terrasses de La Belle Equipe ou du Carillon. Sous le tag #JeSuisEnTerrasse, les internautes partagent depuis quelques jours leurs photos de verres de vin, pintes de bière, café ou soda. Les mots d’ordre : on n’a pas peur, on ne va rien changer à nos habitudes.

"C’est exactement ce qu’il faut faire", se réjouit Laurence Hansen-Löve, professeure agrégée de philosophie. Elle est co-auteure, avec Catfish Tomei, du livre Charlie, L’onde de choc, une citoyenneté bousculée, un avenir à réinventer, à paraître prochainement. Ecrit à la suite des attentats de Charlie Hebdo, ce livre veut montrer que "la résistance c’est la parole, ne pas se décourager, faire face", explique-t-elle au HuffPost.

Pierre Rabhi ne disait-il pas que "Dans notre monde globalisé, chaque acte est un vote" ? Aller s’asseoir en terrasse est une manière de dire que non, on ne se laissera pas abattre, et que non, on ne répondra pas par la violence à des actes barbares. C’est pourquoi Laurence Hansen-Löve affirme qu’il faut "retourner en terrasse, retourner écouter de la musique, même si on a peur" - et elle-même ne cache pas son angoisse.

Pourquoi vivre normalement, tout simplement, alors qu’après les attentats de Charlie Hebdo, plus d’un million de personnes ont manifesté dans les rues de Paris ?

La résistance, c’est de continuer à penser

"Cette fois, les terroristes s’attaquent à notre convivialité, à notre art d’être ensemble, le message est plus diffus et la réponse l’est aussi. On ne manifeste pas forcément en masse mais on continue à vivre normalement, c’est une autre façon de se résister", analyse le sociologue Olivier Galland, contacté par l’AFP.

Le deuxième versant de cette nouvelle forme de résistance, c’est la ré-affirmation des valeurs bafouées lors des attentats. Nous habitons la "capitale des abominations et de la perversion" (selon les mots de Daesh) ? Nous aimons la musique, nous aimons faire la fête, discuter, boire, faire n’importe quoi ? Oui, et nous continuerons : tel est le message que les Français veulent passer.

"Oui je suis un pervers et un idolâtre", écrit le journaliste Simon Casteran, qui a perdu sa cousine au Bataclan, sur son blog, dans un article adressé directement à Daesh. "L’eussiez-vous connue, que vous l’auriez détestée immédiatement. C’était une femme libre et heureuse, pleine de cette lumière intérieure qui vous manque tant". Et d’ajouter que chez nous, les femmes ont le droit "de jouir de cette liberté qui vous fait tant horreur. Et dont Paris, ’la capitale des abominations et de la perversion’, dis-tu, s’est fait depuis longtemps la représentante."

"Je t’apprendrai à aimer les femmes (ou les hommes), à penser, à être tolérant, à être un républicain, un humaniste, à boire, beaucoup, beaucoup trop. Je me lèverai chaque jour de ma vie, pour te faire aimer cette vie, faire de toi leur perverti, un homme sensible et intelligent. Je façonnerai tes armes avec le fer rouge de nos valeurs", écrit quand à lui ce jeune père à son fils d’un mois.

La résistance, c’est la non-violence

Cette résistance est tout le contraire d’une réponse à la haine par la haine. "Vous n’aurez pas ma haine", commence ainsi la lettre ouverte d’un homme dont la femme a été tuée au Bataclan. "L’idée est de répondre à la haine par la non-violence", analyse Laurence Hansen-Löve. "Il faut resacraliser la vie, le bien vivre ensemble, le vivre en public, ne pas se cacher", ajoute-t-elle.

Et pour cela, les Français l’ont bien compris, pas besoin de prendre les armes. "École, laïcité, liberté d’expression", sont les meilleurs moyens de résister, poursuit la philosophe. "Faire du bien, rire, aider, aimer, vivre, libérer, éduquer, être responsable, penser", liste Vincent Cespedes dans un "programme de néo-résistance".

Évidemment, lever son verre en terrasse ou crier haut et fort ses valeurs est aussi une manière de panser ses plaies. Ou plutôt, de se créer une issue de secours. "C’est en effet un débouché : on ne veut pas se sentir impuissant", explique Laurence Hansen-Löve. "La résistance est cette subjectivation par laquelle, butant sur un intolérable, on crée un autre régime de sentir, de penser, d’exister", écrit la philosophe Véronique Bergen dans son livre Résistances philosophiques. "Résister, c’est faire surgir de la nouveauté, inventer des issues, ouvrir des portes qui ne sont pas données dans une situation", analyse Philosophie Magazine à propos de ses écrits.

En attendant de réussir à revivre normalement, le besoin d’aller se recueillir sur les lieux des attentats peut se faire ressentir. Là encore, c’est une forme de résistance. "Mettre des fleurs, des bougies, c’est la volonté de faire face, c’est le refus de l’atteinte contre le mode de vie à la Française, un refus de se soumettre, de céder, explique au HuffPost Dorothée Marchand, chercheure en psychologie sociale et environnementale au CSTB. C’est vraiment de la résilience. C’est au-delà d’une volonté de retour à la normale, c’est une volonté d’affirmer que nous sommes plus forts qu’avant".