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Des exportations massives d’armes et de biens à double usage aux régimes répressifs en 2024

Communiqué de l’Observatoire des Armements

Publié le 16 octobre 2025.





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21,6 milliards d’euros ! Les résultats du dernier rapport sur les exportations d’armes de la France [1] sont toujours aussi alarmants. Un chiffre qui se rapproche du record de 2022 (27 milliards). Les ventes d’armes progressent fortement vers l’Amérique du sud, l’Asie centrale, les pays de l’Union européenne, et surtout l’Asie du sud-est. À ces montants, il faut rajouter une part des exportations de biens à double usage qui en 2024 se sont élevés à 15,7 milliards d’euros [2], en augmentation de 42 % par rapport à 2023.
Contrairement à l’image qu’elle se donne à l’international, Paris continue d’entretenir massivement les conflits. Non seulement les députés se saisissent très peu de ce sujet mais en plus, les instruments mis en place ne jouent pas leur rôle. Une commission parlementaire de contrôle — aux attributions a minima et à la composition verrouillée — a été instaurée lors du vote en 2023 de la loi de la programmation militaire. Elle est née de la mobilisation de la société civile suite à l’utilisation d’armes françaises lors de la guerre au Yémen. À ce stade, son travail est fantomatique, comme nous le redoutions au moment où elle a été échafaudée [3]. Si on se réfère au site internet du Sénat [4], elle ne s’est réunie qu’au moment de son installation début 2025. Elle a ensuite annulé une audition avec des représentants de la société civile — dont l’Observatoire des armements — sans proposer une autre date. Même en prenant en compte l’instabilité gouvernementale, le bilan est famélique. Nous l’appelons à se ressaisir pour ne pas devenir la caution démocratique de cette politique débridée.

Analyse des données des deux rapports au Parlement (exportations d’armes et de biens à double usage) à partir de trois cas emblématiques

L’Indonésie, second client de la France en 2024 Le montant stratosphérique des prises de commande avec l’Indonésie a de quoi préoccuper : 3,5 milliards d’euros ! La France mise sur Jakarta et New Delhi pour peser face à Pékin dans la région. Mais en faisant de l’Indonésie l’un de ses principaux partenaires, elle donne un blanc-seing à son occupation de la Papouasie occidentale qui conduit à la répression des militants papous. Et offre son soutien déterminant au recours à la force qui s’exerce depuis de nombreuses années contre sa propre population. Les manifestations d’août et de septembre dernier ont fait plus de 10 morts et 900 blessés. La coopération militaire franco-indonésienne se concrétise par le transfert de 18 Rafale mais là encore, le rapport ne permet pas de connaître le détail des éventuelles technologies supplémentaires qui se nichent derrière cette somme : des canons Caesar ? Des radars Thales ? Les acquisitions de l’Indonésie s’ajoutent à bien d’autres réalisées les années précédentes selon la presse comme un satellite, des avions de transport militaire Airbus. Mais la transparence manque dans le rapport sur la confirmation de certains de ces contrats et la date de leur mise en vigueur… En tout cas, les autorités françaises ne craignent pas que ces équipements aggravent l’instabilité dans la région. Comme cela a été le cas, par exemple, avec les Rafale indiens qui ont livré bataille avec l’armée de l’air pakistanaise en mai dernier. Pour couronner le tout, un autre gros contrat avec Jakarta est en finalisation : la vente de deux-sous marins par Naval Group. Non pris en compte dans l’actuel rapport au Parlement, il devrait entrer en vigueur l’année prochaine.

Des exportations de technologies nucléaires à la Russie
Les exportations de biens à double usage vers la Russie passent de 62 millions à 205,6 millions ! [5] Elles concernent les technologies nucléaires (205 millions) et le matériel électronique (65 700 €), ce qui pointe bien le double discours actuel : aider Kiev et « en même temps » fournir des technologies pouvant renforcer l’arsenal nucléaire russe. De même, comment justifier d’armer l’Ukraine et « en même temps » des régimes proches de Moscou comme la Serbie (2,7 milliards), le Kazakhstan (71,9 millions) ou l’Ouzbékistan (188 millions) ? Selon nos enquêtes [6] et celle du site ukrainien Inform Napalm [7], nous fournissons des drones, des robots navals et des instruments de navigation pour avions de chasse à des sociétés kazakhes opaques entretenant pour certaines des relations avec Moscou. Une réalité dont certains membres de la Commission parlementaire de contrôle sont conscients au regard d’un article des Échos, mais pas au point de dépasser le stade des commentaires de presse [8]. À quand un véritable débat public sur le sujet en incluant des représentants de la société civile ?
La France déclare aider l’armée ukrainienne en livrant de l’armement. Mais est-ce le seul objectif ? En effet, Kiev a communiqué à la France 21 demandes de réexportation d’armes en 2024, soit à peu près le même niveau que l’année dernière (24). À quels pays sont réexportés ces équipements ? Il est important que le gouvernement rende publique la liste dans la mesure où Kiev est notamment suspectée d’alimenter la guerre au Soudan [9]. Une question se pose : Paris utilise-t-elle l’aide à l’Ukraine pour trouver de nouveaux marchés et « déguiser » des ventes ? Des start-ups françaises viennent d’ailleurs de signer des partenariats avec des entreprises ukrainiennes dans le domaine des drones et des nano-satellites, incluant un volet « export » [10].
D’autre part, derrière les dispositifs de soutien se nichent d’autres intérêts, comme l’illustre le Fonds sur les munitions établi par l’Union européenne qui laisse le soin aux industriels de gérer leurs carnets de commande comme ils l’entendent, quitte à privilégier les livraisons à Riyad ou New Dehli [11].

La France livre des capteurs infrarouge et co-produit avec Israël des munitions Les exportations de biens à double usage à Israël sont inférieures à 2023, mais demeurent à un niveau important : 76,5 millions, dont 60 M€ de capteurs et laser qui peuvent être directement utilisés dans l’armement. D’ailleurs, le ministère de l’Économie affirme que des détecteurs infrarouge sont bien livrés à Tel Aviv, des technologies utiles aux drones, missiles et autres lunettes de vision de nuit.
Du côté des exportations d’armes, la France a attribué plusieurs licences d’exportation vers Israël dans la catégorie ML 3 (munitions principalement) et ML 4 (bombe, torpilles, missiles). Pour se justifier, les autorités indiquent qu’un flux d’échange de composants est organisé avec l’État hébreu, tous les trois ans, en matière de munitions. Autrement dit, Paris travaille en partenariat avec Tel Aviv dans la conception soit d’obus, de missiles ou de cartouches. Notre fameuse « autonomie stratégique » repose donc en partie sur l’économie de guerre israélienne assise sur les massacres commis en Palestine. Une dépendance que nous avons développée dans notre dernière note : les entreprises françaises prélèvent le savoir-faire israélien en avance dans le domaine de l’IA, de l’électronique en général… [12] Une réalité qui n’est là encore pas en débat.
Quant aux prises de commande israéliennes, elles sont en augmentation : de 20 millions à 27 millions. Pour justifier ce montant, le ministère des Armées avance que « ces commandes correspondent pour les deux tiers à des composants qui seront intégrés dans des matériels réexportés dans des pays tiers. ». Pourtant, si on regarde les demandes de réexportation déposées par Israël, leur nombre est en règle générale assez faible : 2 demandes (dont une temporaire) en 2024, 4 demandes en 2023 (dont une temporaire). Il est donc essentiel que le gouvernement nous précise le type de matériel, la destination et le montant financier couvert par les demandes de réexportation dont il fait état… Et quand bien même l’argumentaire du gouvernement se révélerait exact, il reste encore 9 millions d’euros d’armement à même d’alimenter l’armée israélienne. Il devient plus que jamais nécessaire de renforcer la transparence des parlementaires en initiant une commission d’enquête spécifique sur la coopération militaire et sécuritaire entre la France et Israël, compte tenu des enjeux de complicité qu’elle engendre avec un régime qui a mené une guerre qualifiée de génocidaires par les instances de l’ONU.

Ces trois analyses de cas soulignent les limites des deux rapports (sur les exportations et sur les biens à double usage) les rendant difficilement utilisable à l’heure actuelle afin que puisse s’ouvrir un débat public sérieux. L’initiative ne viendra pas du gouvernement quel qu’il soit. Une proposition de résolution pour la création d’une commission d’enquête « visant à renforcer l’effectivité du contrôle parlementaire sur l’action gouvernementale » a été déposée le 16 septembre 2025 par le groupe parlementaire de la France insoumise [13].
Mais en l’état elle a peu de chance d’être adoptée, ni même soumise au débat.
Comme cela a été dernièrement le cas à propos des conséquences des essais nucléaires français, seule l’utilisation de son droit de tirage par un des groupes politiques représentés à l’Assemblée nationale, permettra l’ouverture d’une commission d’enquête digne de ce nom. Objectif : dresser un tableau des exportations d’armement et des biens à double usage, et proposer la mise en place d’un système de contrôle robuste et transparent qui ne soit pas confisqué par l’exécutif, mais associe les différents acteurs concernés, comme il se doit dans une véritable démocratie.

Contacts médias
• Tony Fortin, chargé de recherche, tonyfortin@obsarm.info / tél. 06 09 50 87 23
• Patrice Bouveret, directeur, patricebouveret@obsarm.info / tél. 06 30 55 07 09

Observatoire des Armements : https://www.obsarm.info/