Mouvement pour une Alternative Non-violente

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Mouvement pour une Alternative Non-violente

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Le programme constructif

Intervention liminaire d’Yvette Bailly à l’occasion du colloque à l’Assemblée nationale pour les 50 ans du MAN.

Publié le 13 février 2025.





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À l’occasion de son cinquantième anniversaire, le MAN a organisé un colloque à l’Assemblée nationale intitulé "La non-violence politique pour transformer la société" le 14 novembre 2024. Après l’intervention liminaire d’Alain Refalo intitulée "Les fondements de la non-violence politique", la demi-journée s’est poursuivie par l’intervention d’Yvette Bailly (militante et co-fondatrice du MAN Lyon) intitulée "Le programme constructif".

Programme constructif

La non-violence est une philosophie qui donne sens à l’histoire humaine en délégitimant la violence, c’est une stratégie d’action fondée sur la non-coopération avec l’injustice. C’est aussi une recherche personnelle et collective qui permet de travailler sur sa propre violence et de la transformer, La non-violence est une recherche de la cohérence à 4 niveaux

  • cohérence en mobilisant des moyens en adéquation avec la fin recherchée, la fin est dans les moyens comme l’arbre dans la semence.
  • cohérence en travaillant aussi bien sur le changement personnel que le changement des structures de la société ,
  • cohérence entre la réflexion et l’action et l’articulation entre les deux dans la lutte
  • cohérence en dénonçant, en s’opposant et en luttant contre les injustices tout en mettant en œuvre un programme constructif et alternatif . Cette cohérence c’est comme marcher sur ces deux pieds.

« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde. »

Cette citation emblématique de Gandhi nous rappelle que chaque individu a le pouvoir de changer le monde en mettant en œuvre des alternatives. Au lieu d’attendre que les structures se transforment nous sommes appelés à être le catalyseur du changement que nous souhaitons voir se produire. Pour Gandhi la résistance et le programme constructif sont inséparables : l’un sans l’autre perd beaucoup de son intérêt et de sa force (dans les 2 sens). Le programme constructif est en quelque sorte l’alter égo de la désobéissance civile.

« La non-violence pour Gandhi était plus qu’une simple technique de lutte ou une stratégie pour résister à l’agression militaire », explique Robert Burrowes dans son étude de 1995 The Strategy of Nonviolent Defense : A Gandian Approach (« La Stratégie de la défense non-violente – Une approche gandhienne », non traduit en français). Elle était intimement liée à un combat plus large pour la justice sociale, l’indépendance économique et l’harmonie écologique, ainsi qu’à la quête de la réalisation personnelle. » Comme le précise Burrowes, « pour l’individu, le programme constructif consiste en un pouvoir-de-l’intérieur accru grâce au développement de l’identité personnelle, de l’indépendance et de l’audace. Pour le groupe, cela signifie l’avènement d’un nouvel ensemble de relations politiques, sociales et économiques. » Ses campagnes pour l’indépendance économique ont inclus, notamment, le fameux tissage domestique du coton au rouet, dont la promotion s’est étendue à l’Inde entière : on voit que ce programme constructif réalisé collectivement, est le corollaire de la campagne de non-coopération face à la dépendance systématique aux britanniques pour les vêtements et l’industrie textile.

Les grands leaders non-violent que ce soit Gandhi ou Martin Luther king ont mobilisé les personnes victimes d’injustice en s’appuyant sur leur combativité pour lutter contre l’humiliation et faire reconnaître leurs droits. Le fait de travailler sur un programme constructif produit des bénéfices considérables pour les personnes victimes d’injustice. Cela permet de regagner de la fierté, de l’estime de soi, et de la reconnaissance.

- exemple de la lutte non-violente pour la reconnaissance de la langue basque. A l’instar des autres langues dites « régionales » parlées sur le territoire français, la langue basque ne bénéficie pas de reconnaissance constitutionnelle spécifique, malgré la revendication de plus en plus ouvertement exprimée d’une officialisation. Des associations s’efforcent de donner à l’euskara une place dans la vie publique (mairies, grands commerces, signalétique routière, services publics importants). Plusieurs militants non-violents basques ont lancé des actions dans ce sens en traduisant systématiquement les inscriptions officielles administratives en basque et en mettant en place ces panneaux de signalisation sur la voie publique. Ils ont aussi ouvert un faux guichet sncf avec des faux agents parlant le basque dans la gare de Bayonne. Les basques étaient très fiers qu’on valorise ainsi la langue. On voit que ce programme constructif fait très souvent appel à l’humour, ce qui souvent intéressent les médias locales, et participent à la popularisation de la lutte.

Programme constructif de Jean-Marie Muller. Dictionnaire de la non-violence

Il est essentiel que la lutte non-violente contre l’injustice ne reste pas prisonnière de ses dénonciations et de ses condamnations mais qu’elle puisse élaborer et expérimenter des projets alternatifs qui permettent de construire la justice. En même temps que le mouvement de résistance met en œuvre un programme de non-coopération, il doit mettre en place un programme constructif. Celui-ci consiste à organiser parallèlement aux institutions et aux structures sociales que l’on conteste et avec lesquelles on refuse de collaborer, des institutions et des structures qui permettent d’apporter une solution constructive aux problèmes posés et cela sans attendre le règlement définitif du conflit.

On peut citer ici l’exemple du refus de 3 % de l’impôt lors de la lutte du Larzac. Dans les années 1970 le gouvernement décide d’une façon arbitraire d’agrandir le camp militaire du Larzac dans l’Aveyron, en expulsant plus de 100 paysans de leur terre. Une large mobilisation s’organise pour s’opposer à cette extension et à l’augmentation de la militarisation. Parmi toutes les actions non-violentes menées par les paysans et aussi par toutes les personnes engagées en France dans la lutte, il est lancé le refus et redistribution de l’impôt. Les personnes refusent de payer 3 % de leur impôt qui symboliquement représente la part du la contribution au budget militaire et cette somme est reversée à une association locale du Larzac qui finance des projets pour que les paysans restent sur leur terre et aussi sur des terres convoites par l’armée. C’est ainsi qu’est construite illégalement la bergerie de la Blaquière dans le périmètre d’extension du camp. Un paysan concerné par l’expropriation a pu ainsi utilisé cette bergerie pour ces troupeaux. Cette magnifique bergerie existe toujours. En s’opposant et en désobéissant aux décisions de l’armée un acte individuel et collectif est posé en tout connaissance de cause et revendiqué pour créer une alternative, pour construire le monde que l’on souhaite, bien illustré par le slogan ; des moutons pas des canons.

La réalisation du programme constructif requiert la participation active de ceux là même qui sont victimes de l’injustice en les invitant à être acteurs. L’action non-violente ne consiste pas à demander ses droits, mais pour autant que faire se peut, à les prendre. Le programme constructif doit permettre à ceux qui jusque là ont été maintenus dans une situation de dépendance à l’intérieur de structures politiques et économiques de prendre en charge leur propre destin et de participer activement à la gestion de leurs propres affaires. En outre la mise en œuvre de programme constructif permet à de nombreuses personnes à se mobiliser et à s’engager dans la lutte. Comme les personnes s’engagent dans une action communautaire, et non pas individuelle, elles construisent le cadre pour le changement social. On a vu lors de différentes luttes depuis les années 2010 l’occupation non-violente des places publiques (en Égypte, en Turquie, à New York, à Hong kong, en Ukraine, les nuits debout en France…) Tout en dénonçant les injustices, ces espaces et ces temps d’occupation deviennent des lieux d’expérimentation et de mise en œuvre ce à quoi aspire chacun, c’est comme une préfiguration du monde de demain. On a vu des actes de solidarités, de protection et de prendre soin les uns les autres, d’organisation matérielle pour la nourriture, pour la gestion des déchets, pour dormir sur place ainsi qu’une mutualisation face à la répression. Dans ces espaces, la parole se libère, chacun apprend à s’exprimer, à s’écouter, à trouver sa place, à se fédérer. On voit que c’est souvent un lieu d’appropriation et d’expérimentation d’une nouvelle forme de gouvernance, et de démocratie directe. Et même si la lutte n’aboutit pas, chaque personne est transformée par cette expérience d’avoir participer cette préfiguration d’un autre monde possible.

Le travail constructif fournit des occasions pour développer les aptitudes nécessaires à la construction d’une nouvelle société. Plutôt que de s’en tenir à exiger du pouvoir adverse qu’il apporte une solution juste au conflit en cours,il s’agit d’entreprendre soi-même et d’inscrire cette solution dans la réalité en apportant la preuve de sa faisabilité. Les résistants non seulement veulent que ça change ils commencent déjà à réaliser le changement pour lequel la lutte a été entreprise.

Le Kosovo peuplé majoritairement d’albanais, était autonome dans la fédération de la Yougoslavie. Dans les années 1990 avec l’éclatement de la Yougoslavie, la Serbie a voulu annexer ce territoire en refusant les albanais dans les emplois publics, notamment dans l’éducation et la santé. Sous l’impulsion du leader non-violent Ibrahim Rugova et de la Ligue Démocratique du Kosovo les albanais ont mis en place une stratégie de désobéissance civile et un programme constructif en créant des écoles parallèles en langue albanaise (300 000 jeunes ont été ainsi formé sur une décennie) et aussi un système de santé avec des centres de soin sur tout le territoire. Ce programme constructif a permis à la population de rester solidaire et unie pendant toutes ces années de résistance. Le MAN a participé activement au soutien de cette luttes par des séjours sur place et par la rédaction de rapport de mission auprès du ministère des affaires étrangères.

Ainsi par la réalisation du programme constructif l’action non-violente ne tient plus seulement sa consistance de ce à quoi elle s’oppose mais aussi de ce qu’elle propose et réalise. Le programme constructif veut montrer que les principes et les méthodes de la non-violence ne permettent pas seulement de mettre en œuvre la contestation de la société mais qu’elle doit permettre d’en assurer la gestion.

Pour délégitimer la violence, il est important d’introduire une culture de non-violence dans l’éducation auprès des enfants. C’est à quoi participe le MAN en intervenant auprès des élèves de la maternelle à la terminale pour animer des ateliers sur la régulation non-violente des conflits et aussi pour développer les compétences psychosociales comme l’estime de soi, et l’empathie afin d’améliorer la vie de classe. La mise en place de ce programme constructif s’accompagne d’un travail de plaidoyer auprès des institutions pour que les enseignants soient eux aussi formé à l’éducation à la non-violence, qui porte ses fruits. En effet la Loi pour la refondation de l’école de la République (dite Loi Peillon) adoptée le 8 juillet 2013 définit comme une des missions des Instituts Nationaux Supérieurs du Professorat et de l’Éducation (INSPE) la formation, de l’ensemble des personnels de l’Éducation Nationale à la régulation non-violente des conflits. Là aussi on marche sur nos deux pieds : un engagement concret dès maintenant auprès des élèves pour une éducation à la non-violence et un travail pour faire évoluer les institutions.