Les fondements de la non-violence politique
Intervention liminaire d’Alain Refalo à l’occasion du colloque à l’Assemblée nationale pour les 50 ans du MAN.
Publié le 13 février 2025.

À l’occasion de son cinquantième anniversaire, le MAN a organisé un colloque à l’Assemblée nationale intitulé "La non-violence politique pour transformer la société" le 14 novembre 2024. Cette demi-journée a débuté par l’intervention liminaire d’Alain Refalo (co-porte-parole du MAN, co-fondateur du Centre de Ressources sur la Non-violence et auteur de plusieurs ouvrages sur la non-violence", intitulée "Les fondements de la non-violence politique".
Les fondements de la non-violence politique
Introduction
L’expression « non-violence politique » signifie que ce que nous entendons par « non-violence », en tant que philosophie et stratégie, se situe forcément dans le champ politique et social. Certes, il existe des expressions de la non-violence, issues de telles ou telles traditions spirituelles ou philosophiques, qui prétendent se situer en dehors des combats politiques. Mais, le MAN, dans ses textes fondateurs (le Manifeste pour une Alternative Non-violente et le Texte d’Orientation Politique) s’inscrit sur le terrain politique et social. C’est d’ailleurs son originalité que d’avoir mis la non-violence sur orbite politique à une époque, les années 70, où la non-violence était encore enfermée dans des carcans spirituels ou religieux.
1. Définition de la non-violence
Avant d’exposer les fondements de la non-violence politique, il convient de se mettre d’accord sur une définition de la non-violence.
Nous entendons par « non-violence » un principe éthique et une méthode d’action qui portent un projet de transformation sociale et politique. La non-violence est indissociablement une philosophie et une stratégie, une sagesse pratique et une technique de résistance au service d’une société plus juste et plus fraternelle. Elle n’est pas une idéologie, ni un dogme, mais une recherche et un chemin pour s’efforcer de concilier l’exigence morale avec le réalisme politique. Nous pouvons ainsi affirmer que la non-violence est à la fois une requête de sens et une recherche d’efficacité.
Ce qui est central dans cette approche de la non-violence, c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’une force d’âme, il ne s’agit pas seulement d’une attitude individuelle, mais il s’agit d’une force d’action politique inspirée par une éthique à la fois du respect de la vie et de la délégitimation de la violence.
Rappelons que la non-violence s’est fait connaître et en partie reconnaître grâce à des luttes dites « non-violentes » qui ont marqué l’Histoire et notre mémoire. Ce sont des soulèvements de population contre des dictatures, des combats contre des régimes oppressifs et pour la démocratie, des résistances civiles à l’occupation d’un pays par des forces armées, des luttes pour conquérir des droits sociaux bafoués par des systèmes inégalitaires et injustes, des actions pour défendre le droit à un environnement sain.
2. Les violences structurelles et systémiques
Nous le voyons, la non-violence n’est pas une idée abstraite qu’il conviendrait de plaquer sur la réalité. Il s’agit au contraire de partir de la réalité des violences existantes pour les réduire, les transformer et si possible les éliminer.
La première de ces violences, c’est la violence des situations d’injustice, ce sont des violences structurelles et systémiques. Tous les systèmes d’oppression, de domination et d’exclusion sont des formes de violences structurelles qui engendrent des contraintes physiques et psychologiques sur les individus et les populations. Ces violences structurelles peuvent prendre de multiples visages : le visage du nationalisme, de la dictature, de l’impérialisme, mais aussi de la xénophobie, du racisme, de l’homophobie, du sexisme, ou de l’élitisme, le visage d’un système économique qui crée de l’oppression et des injustices.
La première tâche de la non-violence est d’identifier ces violences structurelles, de les nommer, de les dénoncer, puis de les combattre avec les outils et les méthodes de l’action non-violente. Nous savons qu’au cœur de ces violences qui sont ancrées dans les structures de la société se trouvent généralement des institutions étatiques, c’est à dire un système politique discriminant, mais aussi des pratiques sociales qui portent des normes d’exclusion empêchant les citoyens de satisfaire leurs besoins de base.
3. La nature du pouvoir politique
Dans un deuxième temps, il convient de préciser quelle est la nature du pouvoir politique. Ce point est décisif. Car c’est de l’analyse des fondations du pouvoir politique que nous pourrons penser une action non-violente qui s’attaque réellement aux sources de ce pouvoir. Dans cette analyse politique, trois penseurs sont incontournables : La Boétie, Gandhi et Hannah Arendt.
Nous l’avons appris d’Étienne de La Boétie, dans son Discours de la servitude volontaire, le tyran et plus largement tous les pouvoirs institués tirent leur force de l’obéissance et de la résignation de la majorité de la population. A partir de ce constat, La Boétie nous invite à comprendre qu’il est vain de tuer le tyran pour lutter contre la tyrannie. Il nous propose de prendre un autre chemin : ne plus servir le tyran, ne plus lui apporter le concours dont il a besoin pour dominer le peuple, ne plus lui obéir pour que ses fondations soient ébranlées et qu’il s’écroule comme un château de cartes.
De Gandhi, celui qui mena le combat non-violent contre le colonialisme britannique et pour l’indépendance de l’Inde, nous avons la première grande application à l’échelle d’une nation de ce principe que nous nommons « non-coopération ». La force du colonialisme britannique résidait dans la passivité et l’obéissance de la grande majorité du peuple indien. Quelques milliers de soldats britanniques dominaient une nation de trois cent millions d’Indiens. A partir de cette analyse, Gandhi va expérimenter la stratégie de la lutte non-violente collective en organisant des actions de désobéissance civile de masse, affirmant ainsi non seulement la détermination de tout un peuple, mais surtout sa capacité de défiance de l’empire britannique, sa capacité à se révolter pacifiquement, sa capacité à endurer la répression qui fut parfois très sévère.
De Hannah Arendt, nous avons compris que le véritable pouvoir résidait dans la force du nombre et non pas dans la capacité du pouvoir à faire usage des instruments de la violence. La vraie source du pouvoir, selon Arendt, résulte de la mobilisation sans violence du peuple qui constitue selon elle une force politique autrement plus puissante et plus irrésistible que la force instrumentale des États. Corrélativement, lorsque le pouvoir d’État utilise la violence, il montre en réalité sa faiblesse en tant que pouvoir, puisque le véritable pouvoir peut se passer de la violence. « Ce qu’il faut remarquer dans le domaine politique, écrit Hannah Arendt, c’est qu’un pouvoir qui se sent diminué est tenté de compenser par la violence cette perte de pouvoir. » (Hannah Arendt, Sur la violence, op. cit., p. 155.) En utilisant les moyens de destruction, le pouvoir concourt en réalité à sa propre destruction.
Nous avons, avec ces trois penseurs, plusieurs clés qui permettent de fonder la non-violence politique : la source du pouvoir d’État, le principe de non-coopération, la cohérence entre la fin et les moyens, et la force du pouvoir du peuple.
4. La critique de la contre-violence politique
Penser la non-violence sur le terrain politique, c’est donc prendre la mesure des violences structurelles et systémiques qui nous entourent, c’est comprendre quelles sont les sources du pouvoir politique, mais c’est aussi avoir un regard critique sur la « contre-violence politique ».
La seconde violence qui émerge sur la scène politique et sociale, c’est la contre-violence de celles et ceux qui souffrent des situations d’oppression et d’injustice et qui estiment que c’est la seule voie pour s’en libérer. Disons d’emblée que cette « seconde » violence n’est pas à mettre sur le même plan que la violence première, la violence structurelle. Il ne s’agit pas de renvoyer dos à dos ceux qui sont responsables de l’injustice et ceux qui en sont les victimes. La solidarité envers les opprimés est l’un des fondements de la non-violence, quand bien même ces derniers optent pour des moyens violents pour se défendre et survivre.
De plus, la révolte contre tout ce qui porte atteinte à la dignité, l’intégrité et l’humanité de l’homme est légitime. Toutefois, l’histoire nous apprend que la contre-violence des opprimés finit très souvent par se retourner contre eux, du fait que la capacité de violence du pouvoir d’État est toujours démesurément plus importante que celle des opprimés. Quand bien même la violence apparaît inévitable, nécessaire ou légitime aux opprimés, il s’avère que bien souvent, elle ne fait que renforcer le système répressif de l’État oppresseur. La violence peut apparaître comme une force de libération, mais dans les faits, très souvent, elle devient une force de régression qui amplifie l’oppression du pouvoir.
Certes, les exemples de révolte armée qui ont abouti à un renversement du pouvoir oppresseur existent, - ils sont plus limités qu’on ne croît -, mais rarement ils débouchent sur l’instauration d’un système démocratique. Le pouvoir qui est conquis par les armes devra généralement se maintenir par les armes.
Sur ce point, il est intéressant de souligner que les dissidents des pays d’Europe de l’Est qui avaient à cœur de construire une société démocratique avaient parfaitement conscience que la violence serait inopérante face au totalitarisme, mais surtout qu’elle serait incompatible avec l’idéal d’une société démocratique. Ils n’ont eu de cesse de rechercher des moyens démocratiques de lutte au service de la démocratie. L’action non-violente des dissidents a été une action de rupture avec l’ordre totalitaire, c’est-à-dire avec le mensonge des moyens de la violence qui trahissent l’idéal toujours repoussé dans un avenir inaccessible.
Albert Camus nous invite à une réflexion sur la révolte qui demeure pertinente : En même temps qu’elle est une contestation, nous dit Albert Camus, la révolte est aussi une affirmation. Il s’agit de résister à la mort tout en revendiquant la primauté de la vie. Camus pose ainsi la question de la légitimité du meurtre et y apporte une réponse catégorique : « La liberté la plus extrême, celle de tuer, n’est pas compatible avec les raisons de la révolte. [...] La conséquence de la révolte est de refuser sa légitimité au meurtre puisque, dans son principe, elle est protestation contre la mort. » (Albert Camus, L’homme révolté, p. 341-342.) Ainsi, nous pouvons affirmer que le meurtre est injustifiable et illégitime car il est contraire à l’esprit de la révolte. On ne peut pas se révolter contre les processus de mort et ne pas être révolté contre le meurtre. Il n’y a pas de meurtre légitime, comme il n’y a pas de guerre juste.
La critique morale et stratégique de la révolte armée ou de la contre-violence nous invite à penser une autre forme de résistance qui ne trahisse par les principes et les valeurs qui nous animent, mais tout en visant à l’efficacité. L’ambition de la non-violence politique est de réconcilier l’éthique de conviction avec l’éthique de responsabilité, en cherchant les voies d’une réelle et durable efficacité.
5. La stratégie non-violente
Dans cette perspective, il convient de préciser maintenant ce que recouvre la stratégie de l’action non-violente, qui peut parfois être nommée sous le vocable de « combat non-violent » ou de « résistance civile ».
La lutte non-violente affirme le lien intrinsèque qui existe entre l’objectif recherché et les moyens utilisés. Les moyens sont le commencement de la fin, ils sont une fin en devenir. La démarche de la non-violence nous invite à rechercher et à mettre en œuvre des moyens qui portent en eux-mêmes les valeurs de la fin, qui soient tout simplement en cohérence avec la fin. Il existe ainsi un lien organique entre la fin et les moyens. L’une des clés de cette convergence entre la fin et les moyens se trouve dans le fait que les moyens de la non-violence permettent au conflit de rester centré sur son objet. Alors que la violence va chercher à éliminer l’ennemi, la non-violence va s’efforcer de trouver une juste solution au conflit, en agissant sur les causes et les conséquences du conflit, ce qui prend souvent beaucoup de temps et nécessite de la persévérance.
Le chercheur américain Gene Sharp a recensé, dès les années 70, près de 198 méthodes spécifiques de la lutte non-violente qu’il classe en trois grandes catégories :
- Les méthodes de protestation et de persuasion : Il s’agit essentiellement d’actions symboliques pour affirmer des convictions, exprimer des refus, sensibiliser et conscientiser l’opinion publique. Elles visent à affecter l’autorité morale et la légitimité de l’adversaire et elles cherchent à influencer la majorité silencieuse.
- Les méthodes de non-coopération : Dans cette catégorie, on trouve des actions qui impliquent « l’arrêt, le refus délibéré ou la défiance de certaines relations établies – sociales, économiques ou politiques » (Gene Sharp, La lutte nonviolente, op. cit., p. 53.). Les actions de non-coopération peuvent être légales ou illégales.
- Les méthodes d’intervention et de perturbation : Ce sont des actions directes qui visent à modifier et transformer des situations d’oppression en perturbant le fonctionnement des institutions responsables des injustices. Elles nécessitent une préparation rigoureuse, notamment pour faire face à la répression.
La lutte non-violente cherche à créer un rapport de force dans le but de rétablir l’équilibre des forces, là où existait le déséquilibre. C’est ce déséquilibre qui fait la force de l’oppression et la faiblesse des opprimés. En prenant le chemin de la lutte non-violente, les opprimés engagent une épreuve de force avec les forces de l’injustice en cherchant à les contraindre, à défaut de pouvoir les convaincre ; ce rapport de force ayant pour objectif de l’obliger à dialoguer et à négocier sur la base des revendications de ceux qui luttent. C’est pourquoi la lutte non-violente nécessite une organisation et une planification stratégique.
Ainsi, la non-violence n’est pas seulement une « force d’âme » (Gandhi), mais une force d’action politique, une force qui met en œuvre un arsenal de méthodes de lutte s’inscrivant dans une stratégie élaborée, planifiée et mise en œuvre dans le but de priver l’adversaire des ressorts qui fondent son pouvoir. Lorsque le peuple, délivré de sa peur, prend le parti de refuser l’allégeance et la soumission que le pouvoir exige de lui, il est probable que ce pouvoir s’écroule comme un château de cartes car ses fondements sont ébranlés. Chacun conviendra que le mur de Berlin ne s’est pas effondré tout seul, ni sous l’effet d’ailleurs des armes occidentales, mais bien grâce à la mobilisation de la société civile est-allemande dans une dynamique de résistance qui ne devait rien à la force des armes. Le pouvoir du peuple qui désobéit en masse est l’autre nom de la non-violence politique en acte.
Effectivement, la désobéissance civile est un marqueur fort de la non-violence politique. De quoi s’agit-il ? La désobéissance civile consiste à enfreindre une loi considérée comme injuste, donc immorale et illégitime. Elle est une action collective, publique et non-violente visant à créer un rapport de forces avec le pouvoir en mobilisant l’opinion publique pour faire pression sur le pouvoir politique. Elle s’inscrit dans la durée et assume les risques de la sanction en agissant à visage découvert. Elle vise à rétablir le droit en obligeant les décideurs à supprimer la loi injuste et à promulguer une nouvelle loi.
La désobéissance civile s’affirme ainsi comme un outil de lutte démocratique qui permet de concilier l’exigence éthique avec la radicalité de l’action. Elle est un puissant moteur de construction du droit par les citoyens. La transgression de la loi injuste n’est pas un déni du droit, mais l’affirmation citoyenne d’un grand respect pour le droit. La désobéissance civile, paradoxalement, apparaît donc comme un temps privilégié de renforcement de la démocratie.
6. Construire des alternatives constructives
Nous l’avons dit dans notre définition de la non-violence, la non-violence politique est porteuse d’un projet de transformation sociale et politique. Elle n’est pas seulement une forme de contestation, elle est une force de proposition et de construction d’alternatives politiques et sociétales. C’est ce que nous appelons le « programme constructif » que Yvette Bailly va présenter dans quelques instants.
En effet, le « non » de non-violence, incarné par la non-coopération et la désobéissance civile qui attestent qu’il s’agit bien d’un non de résistance, est aussi un « oui » à d’autres possibles qu’il convient de mettre en œuvre ici et maintenant, sans attendre « le grand soir ». La puissance de la non-violence, outre qu’elle peut être en capacité de mobiliser le nombre dans une lutte populaire et démocratique, s’exprime également par la force de son projet alternatif qui préfigure le monde qui vient.
Le programme constructif qui permet à chacune et à chacun d’agir, dès le temps de la lutte, pour bâtir l’alternative, est un espace de canalisation de l’agressivité et de la colère nécessaires à la lutte. La dimension positive de la non-violence est rendue visible par l’action constructive immédiate. Avec la non-violence, le grand soir a lieu chaque matin. Il ne s’agit plus d’attendre la révolution pour envisager le changement, le changement commence dès le temps de la lutte. C’est aussi ce qui donne à la non-violence son caractère éminemment progressiste.
7. La radicalité de la non-violence
La violence n’est pas radicale, car elle n’agit pas sur les causes de l’injustice, elle n’agit qu’à la surface des injustices. En s’attaquant aux biens et aux personnes qui représentent les institutions responsables de l’injustice, la violence exprime une colère et une rage totalement vaines et inefficaces. Elle s’en prend aux symboles du capitalisme et de l’ordre policier, sans finalement remettre en cause les fondements de ces systèmes injustes et autoritaires. Si ce n’est par des paroles vindicatives qui n’auront d’autre effet que de donner des arguments aux responsables de ces systèmes pour réprimer davantage la contestation.
La non-violence, nous l’avons compris, s’attaque à la racine des injustices. Les actions de non-coopération et de désobéissance civile visent précisément à priver le régime du consentement du peuple qui fonde son propre pouvoir. La résistance non-violente cherche à augmenter le pouvoir d’action de celles et ceux qui luttent, tout en s’efforçant de diminuer celui de l’adversaire. Mobilisation populaire, unité, planification et discipline sont les principaux ingrédients nécessaires à la réussite d’une lutte non-violente. De nombreuses études comparées de luttes non-violentes nous permettent aujourd’hui, de façon quasi scientifique, de formuler des stratégies non-violentes adaptées aux diverses situations d’oppression.
Il est à noter que la lutte non-violente viendra tôt ou tard se heurter à la répression du pouvoir d’État. La radicalité de la non-violence est précisément de maintenir le cap de la non-violence, malgré la répression. Le mouvement non-violent doit rester maître de ses décisions et de ses actions quand bien même l’État voudrait lui imposer d’autres façons d’agir. N’oublions pas qu’il s’agit de gagner l’opinion publique qui peut exercer une très forte pression politique sur le pouvoir. C’est pourquoi si le mouvement garde sa ligne non-violente, la violence de l’État apparaîtra de façon encore plus flagrante. Ainsi, la répression étant inévitable, tout l’enjeu et c’est toute la radicalité de la non-violence, c’est de se préparer à l’affronter, en l’absorbant, en la rendant inutile.
La radicalité de la non-violence s’affirme également par un engagement, individuel et collectif, qui cherche à être à l’image de la société juste et fraternelle à venir. Dans cette société, les rapports de domination-soumission sont exclus car ils sont au fondement de la violence systémique. Il s’agit de s’efforcer d’incarner, dans sa vie comme dans ses luttes, l’absence de volonté de domination envers les autres. Par la pensée, par la parole, par les actes. C’est une expérience de vie radicale qui se conjugue, sans se payer de mots, avec un engagement collectif dans l’action non-violente radicale.
8. Une révolution non-violente ?
La non-violence est radicale, mais pouvons-nous considérer qu’elle est potentiellement révolutionnaire ? Tout processus révolutionnaire qui aspire à l’émancipation des peuples se heurte à une contradiction insurmontable lorsqu’il dérive dans la lutte armée qui ne peut que reproduire les systèmes de domination que l’on combat. On ne peut donc utiliser les moyens autoritaires de la violence pour construire une société sans domination. La vision d’une révolution par la prise du pouvoir d’État par la violence est donc dépassée.
La révolution doit d’abord être sociale. Elle dépend fortement de la capacité du peuple à exercer le pouvoir de façon autonome au quotidien. Pour parvenir à cet objectif, les luttes politiques, écologiques et sociales partielles aux objectifs limités permettent de mettre en mouvement les forces populaires dans des actions de contestation comme la grève, le boycott et la désobéissance civile, mais aussi dans des actions constructives dont les réalisations concrètes préfigurent la société future.
La force révolutionnaire de la non-violence réside ainsi dans sa puissance transformatrice et régénératrice des conflits. Dans cette perspective, la non-violence est plus qu’une sagesse pratique et une méthode d’action politique, elle une force inspirante susceptible de transformer en profondeur la société, tout comme celles et ceux qui la pratiquent.
Je terminerai par une citation de Jean-Marie Muller, écrivain, membre-fondateur du MAN, décédé en 2021 : « La non-violence politique ne saurait être absolue, elle est nécessairement relative, c’est à dire reliée aux hommes, aux situations et aux événements. Il ne s’agit donc pas de partir de l’idée pure d’une société parfaite pour tenter ensuite de la plaquer sur la réalité. Mais, à partir de la réalité des violences, de créer une dynamique qui vise à les limiter, à les réduire et, pour autant que faire se peut, à les supprimer. » (Jean-Marie Muller, Le principe de non-violence, DDB, 1995, p. 141).
Voici donc en quelques mots les fondements de la non-violence politique.