Mouvement pour une Alternative Non-violente

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Les techniques de l’action non-violente

Publié le 10 mars 2007.





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Ayant constaté leurs difficultés à faire émerger leurs revendications dans l’espace public, les mouvements civiques qui agissent de manière non-violente ont imaginé diverses pratiques permettant de créer l’événement. En "théâtralisant" le conflit, ils font éclater au grand jour diverses injustices en utilisant toutes les techniques de l’action non-violente au nombre de 198 selon le chercheur et politologue américain, Gene Sharp. "L’action non-violente vise à la médiatisation du conflit, c’est-à-dire à susciter la constitution de "tiers" qui appuient sa cause. Elle cherche à s’adresser à l’extérieur pour "ouvrir" la relation dominants/dominés en prenant pour témoin, et si possible pour soutien, ce qu’on appelle l’opinion publique", précise le politologue et historien, Jacques Sémelin (cf. "Comprendre la non-violence". NVA).

En France, l’épopée des 103 paysans du Larzac bien décidés à défendre "leur moutons contre les canons" des artilleurs du camp de la Cavalerie, près de Millau, a valeur d’exemple. De 1971 à 1981, les Larzaciens, soutenus en France et à l’étranger par des centaines de comités de soutien, firent montre d’une audace et d’une imagination exceptionnelles. Ils saisirent toutes les occasions pour rappeler que leur petit coin de terre où la propagande officielle ne voyait que des pierres servait à la fabrication du fameux fromage de Roquefort ! Jeûnes, occupations de fortins investis par l’armée, refus de la part militaire de l’impôt, renvoi de papiers militaires et de décorations, actions directes non-violentes dans l’enceinte du camp, installation illégale d’un réseau de téléphones de campagne reliant les fermes entre elles, travaux sauvages de voiries, achats de terres par le biais des Groupements fonciers agricoles (GFA), construction illégale de la bergerie de La Blaquière ; les habitants du Larzac ont presque épuisé l’arsenal des moyens non-violents pour faire valoir leur droit de "Vivre et travailler au pays". Si les paysans aveyronnais ont eu gain de cause, ils le doivent essentiellement à leur génie communicatif et à la constitution d’un vaste réseau de soutien relayant jusque dans le moindre petit village la cause généreuse de ceux qui "font labours, pas la guerre !".

Lancée en avril 1981, le Père Christian Delorme soutenu par le MAN recourt à la grève de la faim illimitée pour stopper les expulsions de jeunes immigrés. En mettant sa vie en jeu - avec celle du pasteur Jean Costil et du jeune Hamid - celui qu’on baptisa le "curé des beurs" prit l’opinion publique à témoin, utilisant l’arme de la faim pour révéler l’injustice commise à l’endroit de jeunes maghrébins nés en France. Contrairement à la pratique gandhienne du jeûne - Gandhi l’utilise comme moyen de purification ou de cohésion au sein de sa propre communauté -, la grève de la faim illimitée se présente en ultime recours, comme un moyen de contrainte et de pression. Ses chances d’aboutir tiennent tout à la fois à la personnalité des jeûneurs, aux relais militants nombreux autant qu’actifs dont ils disposent, à la justesse de leur cause et au choix d’une période propice au revirement des autorités sur l’objet du conflit.

Tout moyen d’action violent ou non-violent dépend de ses conditions d’emploi : la garantie du succès n’est pas toujours au rendez-vous. C’est notamment le cas du grand mouvement de solidarité suscité par l’affaire des "Sans papiers de Saint-Bernard", dont l’élan a été brisé peu de temps après l’irruption brutale des forces de l’ordre, le 23 août 1996, dans l’église où ils avaient trouvé refuge. Parmi les quelque 300 Africains en situation irrégulière, dix s’étaient lancés dans un jeûne longue durée, le 5 juillet. Les grévistes entraient dans la période où les séquelles de leur grève de la faim pouvaient être irréversibles. Ce fut le prétexte utilisé par le Ministre de l’Intérieur pour ordonner l’évacuation musclée des sans-papiers. En réalité, le gouvernement Juppé était menacé de paralysie s’il ne reprenait pas l’initiative à la fin de l’été. En effet, toutes les chaînes de télévision consacraient quotidiennement un "direct" de l’église Saint-Bernard qui augmentait de jour en jour la popularité de cette cause. Au terme d’un combat de près de 6 mois, le mouvement des sans-papiers et la détermination des grévistes de la faim "a imposé le décompte des jours de jeûne comme calendrier politique, jusqu’alors déterminé par le gouvernement" (cf. Cyril Le Roy, ANV n° 101) sans toutefois obtenir la régularisation immédiate des situations.

Dans la catégorie des actions particulièrement propices à la communication et à l’interpellation de l’opinion publique relevons également les marches et défilés de rue. Avec leur dimension d’exode, de pèlerinage et d’épreuve physique, elles rappellent des événements forts, ancrés dans la mémoire et l’histoire humaines. La marche invite au dialogue, au respect et à l’hospitalité, partout où elle passe. Cette épreuve de lenteur est un formidable accélérateur de la mobilisation de l’opinion et des médias.

La première "Marche pour l’égalité des droits et contre le racisme" qui, du 15 octobre au 3 décembre 1983, réunit en un périple de 1 500 km des Français et des jeunes Maghrébins, reste dans les mémoires comme une étape décisive dans la lutte pour l’intégration. Son objectif "lever la France de la fraternité" a été atteint en rassemblant près de 100.000 personnes à Paris. Dans les mois qui suivirent, le gouvernement socialiste prit de nombreuses mesures, la plus spectaculaire étant la création de la carte de séjour valable 10 ans. Cette solidarité des Français s’est également exprimée à l’occasion des marches contre le chômage en mai/juin 1994, soutenue par 300 collectifs locaux et à Amsterdam en juin 1997 où convergèrent de toute l’Europe 50.000 marcheurs "contre le chômage, la précarité et l’exclusion".

L’Association "Droit au logement" (DAL), fondée en 1991 par Jean-Baptiste Eyraud, a monopolisé l’attention des médias à plusieurs reprises, notamment par l’installation illégale de 66 familles de toutes origines dans un immeuble inoccupé des beaux quartiers parisiens, le 18 décembre 1995. L’occupation de l’immeuble de la rue du Dragon s’est achevée au bout d’un an lorsque les pouvoirs publics ont pris l’engagement de reloger les 126 personnes qui y avaient élu domicile. Cette action de désobéissance civile força le gouvernement à appliquer la "loi de réquisition" des logements vides ; elle fut soutenue par des militants très actifs et médiatiques comme l’abbé Pierre, Mgr. Gaillot Albert Jacquard, le professeur Schwartzenberg, Jacques Higelin et Marina Vlady.

Tout aussi mobilisateur fut "l’appel à désobéir" aux futures dispositions de la loi Debré, lancé le 11 février 1997 par 56 cinéastes. Cet appel, fut bientôt suivi par des milliers de personnes, puis par des dizaines de catégories socio-professionnelles, engendra un immense "sursaut civique" dans la société française. Les signataires déclaraient ouvertement "héberger des étrangers en situation irrégulière" et manifestaient leur volonté de se soustraire à la loi. Le gouvernement fut contraint de faire "machine arrière", retirant de son projet l’incitation à la délation que contenait le texte controversé de son ministre Jean-Louis Debré. L’occupation de la "rue du Dragon" comme l’appel à "désobéir" montre que la désobéissance civile peut être un instrument de lutte extrêmement efficace dans des situations particulièrement cruciales touchant à la dignité des personnes.

Sources :
 "La non-violence" par Christian Mellon et Jacques Sémelin. PUF (collection Que sais-je, n° 2912), 1994
 "Comprendre la non-violence". NVA. Collection Racines. 1995
 "Non-violence : Éthique et Politique". MAN/FPH. 1996
 Revues : "Alternatives Non-Violentes" (ANV, Galaxy 246, 6bis, rue de la Paroisse, 78000 Versailles)
 "Non-Violence Actualité" (NVA, BP 241 - 45202 Montargis cedex)