Mouvement pour une Alternative Non-violente

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Déconstruire les murs et construire des ponts

Ecrit par Jean-Marie Muller

Publié par , le 8 février 2007.





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Antoine de Saint Exupéry est pilote de guerre en mai 1940 lorsqu’il écrit ces lignes : « Le drame de cette déroute est d’enlever toute signification aux actes. Quiconque fait sauter un pont ne peut le faire sauter qu’avec dégoût. Ce soldat ne retarde pas l’ennemi : il fabrique un pont en ruine. Il abîme son pays pour en tirer une belle caricature de guerre ! » Il en est toujours ainsi. Toujours, la guerre, quelle que soit la cause qu’elle prétend servir – et celle-ci peut être juste –, fabrique des ponts en ruine. Toujours la guerre ruine des maisons, des villages et des villes. Et ces ruines sont les ruines de l’humanité de l’homme.

Les moyens de la violence non seulement pervertissent la cause la plus noble, mais ils l’effacent et viennent se substituer à elle. « C’est ce renversement du rapport entre le moyen et la fin, écrit Simone Weil, c’est cette folie fondamentale qui rend compte de tout ce qu’il y a d’insensé et de sanglant tout au long de l’histoire. » La violence est alors recherchée pour elle-même. Elle devient un mécanisme aveugle de destruction, de démolition, de dévastation et de mort.

Chaque soir, nous sommes des télé-voyeurs qui regardent des hommes jouer au jeu mécanisé de la guerre aux quatre coins du monde. Et force est de reconnaître que nous sommes fascinés par ces images de fer, de feu, de sang et de mort. Pourtant, dans chacun de ces conflits, la violence n’est pas la solution, elle est le problème. L’erreur est de juger que la violence est humaine. Face à la tragédie de la violence, face à son inhumanité, son absurdité et son inefficacité, le moment n’est-il pas venu, par réalisme sinon par sagesse, de prendre conscience de l’évidence de la non-violence ?

La violence ne peut que détruire des ponts et construire des murs. La non-violence nous invite à déconstruire les murs et à construire des ponts. Malheureusement, il est plus difficile de construire des ponts que des murs. L’architecture des murs ne demande aucune imagination : il suffit de suivre la loi de la pesanteur. L’architecture des ponts exige infiniment plus d’intelligence : il faut vaincre la force de la pesanteur.

Les murs les plus visibles qui séparent les hommes sont les murs de béton qui martyrisent la géographie et divisent la terre qu’il faudrait partager. Comme naguère le mur de Berlin, comme aujourd’hui le mur de Jérusalem. Pour mémoire, le mur de Berlin n’a pas été détruit par les armes de destruction massive de l’Occident. Il ne s’est pas non plus effondré de lui-même sous son propre poids, comme d’aucuns le prétendent indûment. Le mur de Berlin est tombé sous la pression de la résistance non-violente des femmes et des hommes des sociétés civiles des pays de l’Est qui avaient pris les plus grands risques pour conquérir leur dignité et leur liberté.

Mais il existe aussi des murs dans le cœur et dans l’esprit des hommes. Ce sont les murs des idéologies, des préjugés, des mépris, des stigmatisations, des rancœurs, des ressentiments, des peurs. La conséquence la plus dramatique de la violence, c’est qu’elle construit des murs de haine. Seuls ceux qui, dans quelque camp qu’ils se trouvent, auront la lucidité, l’intelligence et le courage de déconstruire ces murs et de construire des ponts qui permettent aux hommes, aux communautés et aux peuples de se rencontrer, de se reconnaître, de se parler et de commencer à se comprendre, seuls ceux-là sauvegardent l’espérance qui donne sens à l’à-venir de l’humanité.

La fatalité de la violence est tout entière construite de mains d’hommes. Cela signifie que les hommes, de leurs mains, peuvent la déconstruire.

Janvier 2007

* Écrivain et philosophe, Jean-Marie Muller est le porte-parole national du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN). Dernier ouvrage paru : Dictionnaire de la non-violence (Le Relié Poche).