Mouvement pour une Alternative Non-violente

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Pitié pour les hommes !

Ecrit par Jean-Marie MULLER

Publié par MAN Nancy, le 4 septembre 2007.





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C’est l’armée qui les a choisis. Volontairement. Ils ont été recrutés. Ces recrues ont reçu un uniforme, afin qu’ils soient tous uniformisés. Puis ils ont été formés à la dure. Très durement. Afin qu’ils deviennent durs. Aguerris. Afin précisément qu’ils deviennent des « hommes ». Ils ont pris l’habitude de marcher au pas. Au pas cadencé. On leur a appris à ne pas avoir de sentiments. Ils ne doivent pas raisonner, mais exécuter. Ils sont sous tutelle et doivent obéir à leurs chefs.

Un jour, ils seront envoyés au loin. Très loin de leur pays. Alors, Ils devront délaisser toutes leurs amours humaines. Ils débarqueront casqués, harnachés, armés de pied en cap. Ils deviendront du matériel militaire. Désormais, ils n’auront plus aucune vie privée. Ils seront seuls, entre « hommes ». Privés de tendresse. Privés de sexualité. Même si l’État, toujours providentiel, saura bien leur offrir quelques plaisirs de substitution.

C’est ainsi que depuis quelques années des milliers d’« hommes » sont envoyés en Irak. C’est une décision du Président des Etats-Unis. Lui, c’est un civil qui ne connaît rien à la guerre qu’il n’a jamais faite. Qu’il ne fera jamais. Mais il est le chef des armées. Constitutionnellement. Le Président leur a donné la plus belle mission qui soit : défendre la Civilisation contre la barbarie, la Démocratie contre la tyrannie, les Droits de l’Homme contre le terrorisme. Ils devaient faire reculer les forces du mal. La rhétorique officielle honore ces mercenaires du Bien comme des héros. La fin est juste, mais il y a erreur sur les moyens. La faute est de penser que la violence est humaine. Et qu’elle est capable d’éradiquer le mal. Sur le terrain, quotidiennement, les « hommes » sont confrontés aux horribles tourments de la guerre. La guerre qu’on leur a apprise était un jeu. Un grand jeu. Ils comprennent alors qu’elle est une tragédie. On leur a dit qu’ils seraient accueillis comme des libérateurs, ils sont maintenant considérés comme des oppresseurs. Jour et nuit, ils vivent morts de peur. De la peur de la mort. Á tout moment, ils ressentent dans leur chair la brûlante morsure de la camarde. Ils sont censés lutter contre le terrorisme, mais ils sont terrorisés. Et ils terrorisent. Ils devaient apporter la paix, mais ils ont provoqué la guerre. Et le chaos. Chaque jour, ils risquent d’être tués. Ou de tuer. Et le meurtre est encore plus terrifiant que la mort. Car l’homme n’est pas fait pour tuer. Les poètes diraient qu’il est fait pour aimer. Mais que viendraient faire les poètes dans cette histoire ?

Certains « hommes » sont remplis de haine. D’autres, de honte. Tous sont saisis d’angoisse. Au fond de leur détresse, ils redeviennent humains. La plupart ignorent la lâcheté. Ils tentent de faire face au jour le jour. Souvent avec courage. En définitive, ils ne sont pas coupables, mais victimes. Victimes de leur propre violence. Blessés, profondément. Troublés, extrêmement. Malades, gravement. Fous, littéralement. On parle à leur sujet de « névrose traumatique de guerre ». Des savants se sont penchés sur leur cas. Un cas intéressant. Un bon thème pour de futurs colloques universitaires. Dans son essai Vers la paix perpétuelle, Emmanuel Kant affirme : « Être stipendié pour tuer ou être tué semble impliquer l’utilisation des hommes comme de simples machines et instruments aux mains d’autrui (de l’État), ce qui ne se laisse pas bien accorder avec le droit de l’humanité dans notre propre personne. » Kant était un philosophe, un sage. Mais qui écoute encore les sages ? Au fait, les sages parlent-ils encore ?

Cyniquement, la mort met régulièrement à jour le compteur des tués. Á la radio et à la télévision, l’information est laconique : « Aujourd’hui deux, trois, quatre, cinq,… soldats américains ont été tués en Irak. ». Elle est devenue banale. Sans transition, le journaliste donne alors les résultats des derniers matches du championnat de foot : « 2-0, 3-1, 4-2, 5-1…, magnifique victoire…, lourde défaite… ». Les chiffres et les concepts s’embrouillent. Bientôt, le compteur de la mort affichera le chiffre de 4000. Quatre mille « hommes » tués ! Pour quoi ? Pourquoi ? (On ignore le nombre de tués irakiens. Leur mort est un dommage collatéral.)
Un jour, les survivants rentrent chez eux. On dit qu’ils sont « libérés ». Mais beaucoup, peut-être tous, ne retrouvent pas le goût de la vie. La violence les a dégoûtés. Des autres et surtout d’eux-mêmes. Ils n’ont pas d’exploits à raconter. Ils sont emmurés dans un silence sépulcral. Douloureusement. La guerre ne les laisse pas en paix. Elle continuera de les hanter. Perpétuellement. Parfois, ils se surprennent à pleurer. Même les « hommes » pleurent. Certains préfèrent se jeter dans la mort afin qu’elle cesse de les narguer.

Ces « hommes » méritent notre respect et notre compassion. Pitié ! Oui, pitié pour les « hommes » !

* Écrivain et philosophe, Jean-Marie Muller est le porte-parole national du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN). Dernier ouvrage paru : Dictionnaire de la non-violence (Le Relié Poche).